vendredi 15 juillet 2016

9 Un effet des TICs

Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, le développement des TICs depuis à peine plus de deux générations est une révolution à l'échelle de l'humanité. Son importance n'est pas loin de celle de la domestification du feu ! L'avenir le dira. Nous avons du mal aujourd'hui à percevoir cette révolution, par manque de recul ... la vie est si courte.
Dans cet article je vais essayer de donner un premier exemple de transformations des métiers ou professions induites par les TIC.

Les notes de l'ancien temps.

Comme chacun le sait dans les entreprises, un ingénieur est le plus souvent un pisse-papiers. J'entends par là que dans bien des fonctions, sa production se concrétise par des notes diverses et variées. Quand je suis rentré à EDF, je n'ai pas échappé à cette règle, même si une autre part de ma production était composée de lignes de codes (sur du papier perforé !).
Regardons ce qui se passait pour les notes : il s'agit d'un processus lent et laborieux. Je ne parle pas de l'écriture (encore qu'à l'époque l'enseignement de l'écriture des notes se faisait sur le tas).  Je parle ici de sa frappe puis de sa diffusion. La frappe est réalisée par des dactylos. Première file d'attente dans le secrétariat de l'équipe ! Puis allers et retours répétés pendant des jours ou des semaines pour arriver à une note sans trop de coquilles (sauf sous le tipex). Sans oublier les graphiques réalisées encore quelquefois sur calques et les formules "calligraphiées" à la main. (J'ai une écriture de cochon).
La moindre itération avec les relecteurs (en général hiérarchiques)  se traduit par une multiplication de la durée du processus. Au final, une note un peu conséquente prend facilement six mois après sa conception.
Et maintenant la diffusion ! Quand ce n'est pas ronéotypé, il faut accéder aux photocopieuses rares et chères. Aussi on limite la diffusion. D'autant qu'après la réalisation des exemplaires, il faut les mettre sous enveloppes puis au courrier... tâches exaltantes des secrétaires !

Une génération et Kayak devient réalité (enfin presque) !

Dans les années 70-80, l'INRIA travaille sur un projet de bureau sans papier : le projet Kayak.
Un beau projet mais avec peu de retombées commerciales in fine.
Dans le même temps, à peu près, Xerox innove avec Xerox Star, qui se transformera en GlobalView. De GlobalView j'ai eu le privilège d'assister au ratage technique et commercial : logiciel puissant, Wysiswyg, en réseau Ethernet (à la mode Xerox). Malheureusement affreusement couteux et tournant à l'époque sur PC sous OS/2 hybridé monstrueusement avec un processeur spécialisé pour faire tourner le système Mesa de Xerox : un boot interminable, des plantages en cascade. Le chef de service de mon service, à la pointe du progrès avait choisi son secrétariat comme cobaye. Ses secrétaires, d'abord jalousées, déchantèrent bien vite.

Et dans le même temps ou presque (milieu des années 80) Microsoft impose progressivement Word face à des concurrents comme Wordperfect de Corel.

Toujours est-il, qu'à partir du milieu des années 80, les IBM à boules disparaissent progressivement au profit de PC (IBM !) équipés de MS Word, permettant aux secrétariats de taper leurs textes plus vite sous une forme diffusable et surtout facilement modifiable.
Et progressivement, les versions de Word et de Windows évoluent vers le Wysiwyg des logiciels Corel ou Xerow d'antan sur stations de travail.
Mais il faudra attendre la fin des années 80 et le développement des réseaux internet d'entreprise pour passer à l'étape suivante : l'essor des messageries électroniques et la diffusion des notes grâce à ces messageries. (Babel au départ ! CCmail+MSmail+Lotus mail).
Sans oublier les outils de gestion documentaire comme Documentum qui permettent de gérer les documents et leurs versions, et d'implémenter les processus correspondants.

Si bien qu'aujourd'hui, techniquement, il est possible de dématérialiser tout le processus des notes, de la création, à l'approbation, puis à la diffusion. Si ce n'est pas encore le cas dans les entreprises, ce n'est pas en général pour des raisons techniques. C'est plutôt qu'il est difficile de se défaire de certaines habitudes héritées du papier : signatures sur la page de garde, conservation d'un "original" papier dans les secrétariats...

Productivité bureautique

Quoi qu'il en soit, la productivité en matière de notes s'est considérablement accrue. Si l'on prend par exemple les ratios de secrétaires par ingénieur, quand j'ai commencé à travailler à EDF, on était à environs 1 pour 7. 20 ans plus tard, à l'approche de l'an 2000, on était passé à environ 1 pour 20.
Autrement dit le nombre de dactylos et de secrétaires s'était réduit de plus de la moitié, et à vrai dire les "dactylos" ont disparu ... reconverties en "assistantes". La diminution aurait été plus forte si les tâches dévolues aux secrétaires ne s'étaient pas "enrichies" côté gestion des équipes : traçage des temps des agents, gestion des commandes-factures, interventions sur les budgets ...
Çà c'est pour les secrétaires. Mais pour les ingénieurs, dont beaucoup ont du se mettre à saisir eux-mêmes leurs notes, productivité accrue également : finis les temps d'attente aux secrétariats et béni soit le correcteur orthographique ! Possibilité d'organiser des relectures croisées et parallèles beaucoup plus vite : moins de pertes de temps. En réalité, je ne suis pas sûr que le temps consacré par les ingénieurs à la réalisation et à la vérification des notes ait beaucoup baisser. Par exemple, comme les itérations sont plus faciles, on chicane plus et on multiplie les itérations !
De fait je pense que c'est surtout au plan de l' elapsed time (la durée du process) et de la qualité finale que l'on gagne et que l'on gagne beaucoup. Il s'agit bien de productivité accrue dans la mesure où l'atteinte du même niveau de qualité aurait exigé beaucoup plus d'efforts dans l'ancien temps. Et de plus, une note bien travaillée fait gagner du temps à ses destinataires.
Mais l'on touche ici un point sensible : si la baisse des effectifs des secrétariats est mesurable, les gains apportés par des sorties plus rapides de notes d'une plus plus grande qualité sont pratiquement impossibles à mesurer ! Du coup l'affaire devient subjective : les gens du SI y croient (aux gains de productivité), mais les financiers, non !
C'est une situation sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir par la suite : une bonne partie de la productivité induite par les TIC échappe aux outils de mesure habituels.