jeudi 9 mai 2019

18 Productivité et TICs


Un article qui ne voulait pas accoucher, sur l’éthique des TICs, qui seraient à la fois les meilleures et les pires des choses.
Finalement 3 articles dont voici le premier : TICs et productivité.
Le suivant devrait traiter : « les TIC, l’IA : diaboliques, angéliques ? ».
Et enfin la rupture TIC du troisième millénaire conduira-t-elle à une nouvelle guerre du feu ?

Pour l’instant, parlons économie, et d’abord microéconomie.

Il y a eu une phase de doute sur le lien entre productivité et investissement dans les TIC aux alentours des années 2000. En fait aujourd’hui, le doute n’est plus de mise, en particulier parce que dans un même secteur on observe une corrélation forte entre investissements d’une entreprise dans les TICs et sa performance.
Mais il faut avoir en tête un certain nombre d’éléments. Les gains de productivité varient selon les secteurs d’activité et évoluent dans le temps. Dernièrement les gains semblent être surtout dans les services, par exemple bancaires.
Ensuite les projets TICs amènent rarement des gains s’ils ne sont pas inscrits dans une réingénierie des processus et des savoirs de l’entreprise. Dans le temps, l’idée que à laquelle je tiens, était justement que, côté métier, il n’y a pas de projets TICs : il n’y a que des projets « métier » avec une composante TIC. Faute de quoi l’échec ou le semi-échec sont garantis. Et les coûts d’investissement échoués font évidemment baisser les ratios de productivité des TICs.
Il faut pouvoir aussi mesurer la productivité ramenée par exemple à l’heure de travail : or une partie de la productivité se traduit par une plus grande flexibilité et une plus grande qualité de la production des biens ou des services : on ne sait pas très bien ni mesurer ni valoriser ces facteurs.
Et attention, on sait mesurer dans certains secteurs la baisse de main d’œuvre à production constante : mais si l’on mesure la productivité en la ramenant aux coûts salariaux, on risque d’être déçu. En effet les diminutions d’effectifs affectent essentiellement les salariés aux salaires inférieurs ou intermédiaires et l’on sait qu’une robotisation se traduit par des embauches de cadre et de techniciens plus diplômés, et donc payés plus cher : la masse salariale diminue mais moins relativement que le nombre d’heures de travail, toutes catégories confondues.
Autre point : les changements de paradigme permis par les nouvelles techniques compliquent aussi les analyses des gains en productivité. Ainsi si l’on prend le commerce, les gains permis par les TICs au niveau des commerces traditionnels sont très faibles. Cependant on assiste à une explosion de la vente en ligne : les gains de productivité ne peuvent être appréciés qu’en incluant ce nouveau paradigme dans l’analyse du secteur commerçant.

Je me suis intéressé essentiellement aux gains de productivité par rapport aux heures de travail. Mais les TICs permettent aussi des gains de productivité par rapport au capitale.  Par exemple, ils permettent de produire à flux tendus, ce qui permet d’éviter les stocks de biens intermédiaires et donc de baisser le capital circulant.

Côté macro-économie,

il y a un certain consensus aujourd’hui sur le fait que les TICs ont permis des gains de productivité, mais moins que ce que l’on attendrait.
S'il est déjà délicat de mesurer l’impact des TICs sur la productivité pour un secteur de production donnée, ça l’est encore plus au niveau global. On se heurte de plein fouet à l’ambiguïté du thermomètre PIB. Le plus souvent, en effet, les calculs sont faits grosso modo en divisant ce PIB par un nombre d’heures travaillées.
Or si la production des biens matériels est assez bien connue, une partie des services est peu ou mal mesurée. Par exemple, pour les services non-marchands, assurés par les collectivités et l’état, les montants sont évalués à leur coût de revient. Supposons qu’un coût de baguette magique Macronien permette de doubler les services rendus : à prix de revient équivalent, ça ne fera pas augmenter le PIB d’un iota. Et même plus, si l’on en profite pour réduire le nombre de fonctionnaires, le PIB baissera, et les gains de productivité... baisseront.

Globalement, en réalité, on retrouve les critiques qui sont faites au PIB quand il s’agit d’évaluer les coûts et les bénéfices des démarches environnementales. Exemple bien connu des Shadocks : pour augmenter le PIB il suffit de payer les uns pour faire des trous et les autres pour les boucher. Gaspiller fait monter le PIB, et encore plus si cela génère plus de déchets qu’il faudra traiter.
À l’inverse, si vous prenez des plates-formes d’intermédiation emblématiques comme BlaBlaCar ou Lebon Coin, la valorisation de leurs services se fait vraisemblablement au prix de vente de leurs services (abonnements, ou coûts des annonces).
Or leur valeur ajoutée n’est pas là et n’est pas comptabilisée : moins de transports traditionnels, une réutilisation massive de biens un peu défraîchis, utilisables, qui sans cela auraient fini au fond d’un grenier ou dans une benne à ordures.
Et non seulement ces économies ne sont pas comptabilisées, mais en plus elles contribuent à baisser le PIB et donc la productivité globale !
Autre point. En principe on raisonne à euros constants : on enlève l’inflation de l’augmentation du PIB. Et dans l’autre sens, mais pas toujours, on corrige, pour tenir compte de la baisse des biens ou services produits.
Mais très rarement tient-on compte des améliorations des produits ou services. Si l’on regarde les TICs, la puissance de calcul, ou le volume de données transmises, ramenés à l’euro


d’achat ont explosé en une génération. Les PCs d’aujourd’hui ont la puissance des gros bouzins d’antan pour un coût ridicule à l’aune des anciens monstres. Il est vrai que c’est moins marquant dans la plupart des autres secteurs, ce qui explique que les TICs sont quasiment le seul secteur économique ou quelques économistes ont tenté de tenir compte de cette véritable explosion.
Bref, ce n’est pas parce que le PIB stagne que le niveau de vie baisse ou que la productivité réelle n’augmente pas !

La suite au prochain numéro.