Un article qui ne voulait pas accoucher, sur l’éthique des
TICs, qui seraient à la fois les meilleures et les pires des choses.
Finalement 3 articles dont voici le premier : TICs et
productivité.
Le suivant devrait traiter : « les TIC, l’IA :
diaboliques, angéliques ? ».
Et enfin la rupture TIC du troisième millénaire
conduira-t-elle à une nouvelle guerre du feu ?
Pour l’instant, parlons économie, et d’abord microéconomie.
Il y a eu une phase de doute sur le lien entre productivité
et investissement dans les TIC aux alentours des années 2000. En fait
aujourd’hui, le doute n’est plus de mise, en particulier parce que dans un même
secteur on observe une corrélation forte entre investissements d’une entreprise
dans les TICs et sa performance.
Mais il faut avoir en tête un certain nombre d’éléments. Les
gains de productivité varient selon les secteurs d’activité et évoluent
dans le temps. Dernièrement les gains semblent être surtout dans les services,
par exemple bancaires.
Ensuite les projets TICs amènent rarement des gains s’ils ne
sont pas inscrits dans une réingénierie des processus et des savoirs de
l’entreprise. Dans le temps, l’idée que à laquelle je tiens, était justement
que, côté métier, il n’y a pas de projets TICs : il n’y a que des projets
« métier » avec une composante TIC. Faute de quoi l’échec ou le
semi-échec sont garantis. Et les coûts d’investissement échoués font évidemment
baisser les ratios de productivité des TICs.
Il faut pouvoir aussi mesurer la productivité ramenée par exemple
à l’heure de travail : or une partie de la productivité se traduit par une
plus grande flexibilité et une plus grande qualité de la production des biens
ou des services : on ne sait pas très bien ni mesurer ni valoriser ces
facteurs.
Et attention, on sait mesurer dans certains secteurs la
baisse de main d’œuvre à production constante : mais si l’on mesure la
productivité en la ramenant aux coûts salariaux, on risque d’être déçu. En
effet les diminutions d’effectifs affectent essentiellement les salariés aux
salaires inférieurs ou intermédiaires et l’on sait qu’une robotisation se
traduit par des embauches de cadre et de techniciens plus diplômés, et donc
payés plus cher : la masse salariale diminue mais moins relativement que
le nombre d’heures de travail, toutes catégories confondues.
Autre point : les changements de paradigme permis par
les nouvelles techniques compliquent aussi les analyses des gains en
productivité. Ainsi si l’on prend le commerce, les gains permis par les TICs au
niveau des commerces traditionnels sont très faibles. Cependant on assiste à
une explosion de la vente en ligne : les gains de productivité ne peuvent
être appréciés qu’en incluant ce nouveau paradigme dans l’analyse du secteur
commerçant.
Je me suis intéressé essentiellement aux gains de
productivité par rapport aux heures de travail. Mais les TICs permettent aussi
des gains de productivité par rapport au capitale. Par exemple, ils permettent de produire à flux tendus, ce
qui permet d’éviter les stocks de biens intermédiaires et donc de baisser le
capital circulant.
Côté macro-économie,
il y a un certain consensus aujourd’hui sur le fait que les
TICs ont permis des gains de productivité, mais moins que ce que l’on
attendrait.
S'il est déjà délicat de mesurer l’impact des TICs sur la
productivité pour un secteur de production donnée, ça l’est encore plus au
niveau global. On se heurte de plein fouet à l’ambiguïté du thermomètre PIB. Le
plus souvent, en effet, les calculs sont faits grosso modo en divisant ce PIB
par un nombre d’heures travaillées.
Or si la production des biens matériels est assez bien
connue, une partie des services est peu ou mal mesurée. Par exemple, pour les
services non-marchands, assurés par les collectivités et l’état, les montants
sont évalués à leur coût de revient. Supposons qu’un coût de baguette magique Macronien
permette de doubler les services rendus : à prix de revient équivalent, ça ne fera
pas augmenter le PIB d’un iota. Et même plus, si l’on en profite pour réduire
le nombre de fonctionnaires, le PIB baissera, et les gains de productivité...
baisseront.
Globalement, en réalité, on retrouve les critiques qui
sont faites au PIB quand il s’agit d’évaluer les coûts et les bénéfices des
démarches environnementales. Exemple bien connu des Shadocks : pour
augmenter le PIB il suffit de payer les uns pour faire des trous et les autres
pour les boucher. Gaspiller fait monter le PIB, et encore plus si cela génère
plus de déchets qu’il faudra traiter.
À l’inverse, si vous prenez des plates-formes d’intermédiation
emblématiques comme BlaBlaCar ou Lebon Coin, la valorisation de leurs services se
fait vraisemblablement au prix de vente de leurs services (abonnements, ou coûts des
annonces).
Or leur valeur ajoutée n’est pas là et n’est pas
comptabilisée : moins de transports traditionnels, une réutilisation
massive de biens un peu défraîchis, utilisables, qui sans cela auraient fini au
fond d’un grenier ou dans une benne à ordures.
Et non seulement ces économies ne sont pas comptabilisées,
mais en plus elles contribuent à baisser le PIB et donc la productivité globale !
Autre point. En principe on raisonne à euros constants :
on enlève l’inflation de l’augmentation du PIB. Et dans l’autre sens, mais pas
toujours, on corrige, pour tenir compte de la baisse des biens ou services
produits.
Mais très rarement tient-on compte des améliorations des
produits ou services. Si l’on regarde les TICs, la puissance de calcul, ou le
volume de données transmises, ramenés à l’euro
d’achat ont explosé en une génération. Les PCs d’aujourd’hui ont la puissance des gros bouzins d’antan pour un coût ridicule à l’aune des anciens monstres. Il est vrai que c’est moins marquant dans la plupart des autres secteurs, ce qui explique que les TICs sont quasiment le seul secteur économique ou quelques économistes ont tenté de tenir compte de cette véritable explosion.
Bref, ce n’est pas parce que le PIB stagne que le niveau de
vie baisse ou que la productivité réelle n’augmente pas !
La suite au prochain numéro.