vendredi 9 août 2019

19 Ange ou démon ?

Kaléidoscope de quelques aspects emblématiques des TICs.
Passés en revue, avec des arguments pros and cons, pros selon les uns, cons selon les autres, peut-être, et le tout sans prétention à l’exhaustivité. Pas de jugement de valeur dans cet article ... c'est dans le suivant que l'on parlera plus éthique et politique des TICs.
Dans la suite, des applications des technologies de l'informatique et des communications, plutôt que les technologies utilisées qui sont en générale multiples.

Numérisation des services, en particulier, publics

La "webisation" des services publics (ou privés) va bon train et bénéficie d'un soutien sans faille des gouvernements et d'une bonne part de la nomenklatura.
De mieux en mieux faits, même si l'accès et l'utilisation de certains services, est laborieuse, c'est souvent un gain de temps, par évitement des déplacements physiques et des queues aux guichets.
 
Mais c'est aussi un facteur d'exclusion pour une bonne part de la population, handicapée devant l'usage de l'informatique, par manque de formation, d'habitude, d’appétence, et peut-être d'aptitude.
Mais que celui qui n'est jamais resté perplexe devant les nouveaux de distributeurs des stations service, jette la première pierre !
Remplir certains formulaires, après avoir créé un compte, est un drôle de casse-tête quand on n'a pas l'habitude.

L'impact sur l'emploi est en général évident : diminution, voire disparition des agences de proximité, et même des centres d'appel (voir par exemple, les opérateurs de télécoms, la SNCF, les banques...).
En même temps, on éloigne, et pas seulement physiquement, les services publics et les services de base de l'usager ou des clients. Même si la connotation est négative, on peut parler de déshumanisation des services concernés.

Et la fois précédente, on a évoqué les gains en termes de vraie productivité (par rapport au travail) de la fourniture du service. Avec un effet paradoxal, c'est que la diminution des coûts ou des prix de service se traduit par une baisse du PIB, quand la demande de services reste stable ; c'est le cas de la plupart des services de base.

Robotisation

Les robots ne sont pas une invention récente, mais les progrès continus de la robotique ("intelligence", capteurs, effecteurs...) les rendent de plus en plus flexibles et adaptables à différents univers.
Certains emplois sont ainsi transformés, avec une pénibilité plus faible. L'efficacité des nouveaux postes de travail robotisés développe aussi la productivité rapportée au travail.
Autrement dit des emplois peu qualifiés sont supprimés au profit d'emplois de maintenance, mais certainement pas dans les mêmes proportions.
Tous les secteurs sont touchés : aidées par les progrès en biochimie, les analyses médicales, les analyses d'ADN se sont fortement automatisés. Là aussi, moins de laborantins, mais des analyses beaucoup plus efficaces et rapides qu'auparavant.

Véhicules ou robots autonomes

On peut considérer les véhicules autonomes comme un cas particulier du développement de la robotique.
Les champs d'application sont énormes : les trains ou métros automatiques existent depuis longtemps, mais maintenant outre le Graal de la voiture autonome, on parle de plus en plus de cargos automatiques, d'avions sans pilotes, du moins dans le cockpit. Les technologies sont là, reste à régler le problème de l'acceptabilité sociale.
Quant à l'armée, les recherches vont bon train : les robots tueurs ne sont pas loin. D'ailleurs les frappes par  drones pilotés à distance, mais semi automatiques, sont devenues monnaie courante : assassinats ciblés à distance, mais avec quelques dégâts collatéraux éventuels.
Mais on peut utiliser les drones non seulement pour de la surveillance policière mais aussi pour de la surveillance ou de la reconnaissance techniques.

Réseaux sociaux et GAFA

Il y a 15 ans, on ne parlait pas de Facebook, et Google n'avait guère plus de 5 ans.
Depuis c'est la croissance détonante de ces nouveaux géants.
D'énormes possibilités d'échange et de recherche d'informations.
Et des aspects qui peuvent plaire ou fortement déplaire.
Diffusion ultra-rapide des informations, quelques secondes ou minutes, qu'elles soient vraies... ou parfaitement fausses.
Une forme d'ubiquité donnée à l'humanité, grâce aux réseaux sociaux et à leurs messageries instantanées, mais qui favorise aussi un isolement physique, narcissique.
La possibilité d'accéder à des informations de toutes sortes, et sur n'importe qui ou presque, mais aussi un fichage généralisé et profond : vos données, vos photos, vos amis, vos actions, vos centres d'intérêt, vos déplacement, votre comportement...

Reconnaissance des images.

Aujourd'hui il est possible de chercher un individu dans des photos de foule, que ce soit pour des motifs policiers ou non. Vos photos sont automatiquement indexées selon les visages de vos supposés amis qu'elles contiennent.  Qui n'a pas été surpris de découvrir dans la galerie de portraits affichée par l'application, la tête que l'on pensait oubliée ? (Encore que le port de postiches, de barbes ou le lunettes garantit encore, pour peu de temps, une certaine forme d'anonymat).

Traduction automatique

Moins problématique au premier abord, la traduction automatique est entrée dans la vie courante. Babel c'est fini, ou presque.
Un européen et un asiatique qui ne connaissent que leur langue, mais qui ont sur leur smartphone l'application magique, peuvent presque dialoguer, s'écrire...

Plate-formes d'intermédiation

Qu'èsaco ? Ce sont tous les sites qui permettent de mettre en relation une offre et une demande, quasiment sans autre intermédiaire... que les plateformes elles-mêmes. Suivant les modèles, celles-ci se rémunèrent par la pub plus ou moins ciblée, le prix des annonces et/ou des abonnements payés par les offreurs et/ou les demandeurs.
Elles sont multiples : le Bon Coin, Amazon, Uber, Meetic ... et se multiplient dans tous les domaines, et particulièrement celui du commerce, où elles élargissent le concept de commerce en ligne.
La virtualisation des intermédiaires grâce à la plate-forme contribue à élargir considérablement l'offre ou la demande disponibles, de fluidifier le marché, de diminuer les coûts d'intermédiation, de gagner du temps. À condition de savoir se servir d'internet... voir discussion plus haut.
Comme indiqué dans l'article précédent, on constate des gains de la productivité réelle, même s'ils peuvent se traduire monétairement par une baisse apparente du PIB. La virtualisation de la rencontre entre offre et demande, se traduit par une diminution des déplacements, et contribue à réduire l'empreint écologique. Et encore plus quand elle permet de donner une nouvelle jeunesse à des produits qui auraient dormi dans un grenier ou fini à la déchetterie.
Mais évidemment, il y a d'autres conséquences.
La virtualisation des intermédiaires se traduit évidemment par une disparition des intermédiaires physiques traditionnels. Autrement dit, le petit commerce souffre, et les grandes surfaces ou les centres commerciaux fanent en périphérie des agglomérations.
D'où diminution des emplois dans le commerce physique, et, concomitamment, création d'emplois encore moins qualifiés de livreurs et de manutentionnaires. Avènement d'une nouvelle race de travailleurs, encensés en tant qu'auto-entrepreneurs (la fin du salariat, n'est-ce pas), mais qui rappelle furieusement les tâcherons et les journaliers d'antan, étroitement dépendants du donneur d'ordre.
Globalement, précarité accrue et disparition d'emplois intermédiaires aggravant la fracture sociale.

Automatisation du paiement en grande surface

Logiquement, les grandes surfaces réagissent et cherchent à réduire leurs coûts de différentes façons, et à réduire le temps passé par le client pour faire la queue et payer : il faut renforcer l'attractivité de ces hangars. D'où une débauche de recherche pour espionner le caddy du client, le faire casquer rien qu'en le reconnaissant en train de fourrager dans les étals ou sur le point de sortir. Vous êtes ponctionnés après reconnaissance de votre bonne mine !
Bien entendu, le nombre de caissières sera réduit, voire annulé, mais votre visage et vos habitudes d'achat seront archivés dans les serveurs du magasin.

Dans l'article suivant : si le pire n'est jamais sûr, il est néanmoins probable.

jeudi 9 mai 2019

18 Productivité et TICs


Un article qui ne voulait pas accoucher, sur l’éthique des TICs, qui seraient à la fois les meilleures et les pires des choses.
Finalement 3 articles dont voici le premier : TICs et productivité.
Le suivant devrait traiter : « les TIC, l’IA : diaboliques, angéliques ? ».
Et enfin la rupture TIC du troisième millénaire conduira-t-elle à une nouvelle guerre du feu ?

Pour l’instant, parlons économie, et d’abord microéconomie.

Il y a eu une phase de doute sur le lien entre productivité et investissement dans les TIC aux alentours des années 2000. En fait aujourd’hui, le doute n’est plus de mise, en particulier parce que dans un même secteur on observe une corrélation forte entre investissements d’une entreprise dans les TICs et sa performance.
Mais il faut avoir en tête un certain nombre d’éléments. Les gains de productivité varient selon les secteurs d’activité et évoluent dans le temps. Dernièrement les gains semblent être surtout dans les services, par exemple bancaires.
Ensuite les projets TICs amènent rarement des gains s’ils ne sont pas inscrits dans une réingénierie des processus et des savoirs de l’entreprise. Dans le temps, l’idée que à laquelle je tiens, était justement que, côté métier, il n’y a pas de projets TICs : il n’y a que des projets « métier » avec une composante TIC. Faute de quoi l’échec ou le semi-échec sont garantis. Et les coûts d’investissement échoués font évidemment baisser les ratios de productivité des TICs.
Il faut pouvoir aussi mesurer la productivité ramenée par exemple à l’heure de travail : or une partie de la productivité se traduit par une plus grande flexibilité et une plus grande qualité de la production des biens ou des services : on ne sait pas très bien ni mesurer ni valoriser ces facteurs.
Et attention, on sait mesurer dans certains secteurs la baisse de main d’œuvre à production constante : mais si l’on mesure la productivité en la ramenant aux coûts salariaux, on risque d’être déçu. En effet les diminutions d’effectifs affectent essentiellement les salariés aux salaires inférieurs ou intermédiaires et l’on sait qu’une robotisation se traduit par des embauches de cadre et de techniciens plus diplômés, et donc payés plus cher : la masse salariale diminue mais moins relativement que le nombre d’heures de travail, toutes catégories confondues.
Autre point : les changements de paradigme permis par les nouvelles techniques compliquent aussi les analyses des gains en productivité. Ainsi si l’on prend le commerce, les gains permis par les TICs au niveau des commerces traditionnels sont très faibles. Cependant on assiste à une explosion de la vente en ligne : les gains de productivité ne peuvent être appréciés qu’en incluant ce nouveau paradigme dans l’analyse du secteur commerçant.

Je me suis intéressé essentiellement aux gains de productivité par rapport aux heures de travail. Mais les TICs permettent aussi des gains de productivité par rapport au capitale.  Par exemple, ils permettent de produire à flux tendus, ce qui permet d’éviter les stocks de biens intermédiaires et donc de baisser le capital circulant.

Côté macro-économie,

il y a un certain consensus aujourd’hui sur le fait que les TICs ont permis des gains de productivité, mais moins que ce que l’on attendrait.
S'il est déjà délicat de mesurer l’impact des TICs sur la productivité pour un secteur de production donnée, ça l’est encore plus au niveau global. On se heurte de plein fouet à l’ambiguïté du thermomètre PIB. Le plus souvent, en effet, les calculs sont faits grosso modo en divisant ce PIB par un nombre d’heures travaillées.
Or si la production des biens matériels est assez bien connue, une partie des services est peu ou mal mesurée. Par exemple, pour les services non-marchands, assurés par les collectivités et l’état, les montants sont évalués à leur coût de revient. Supposons qu’un coût de baguette magique Macronien permette de doubler les services rendus : à prix de revient équivalent, ça ne fera pas augmenter le PIB d’un iota. Et même plus, si l’on en profite pour réduire le nombre de fonctionnaires, le PIB baissera, et les gains de productivité... baisseront.

Globalement, en réalité, on retrouve les critiques qui sont faites au PIB quand il s’agit d’évaluer les coûts et les bénéfices des démarches environnementales. Exemple bien connu des Shadocks : pour augmenter le PIB il suffit de payer les uns pour faire des trous et les autres pour les boucher. Gaspiller fait monter le PIB, et encore plus si cela génère plus de déchets qu’il faudra traiter.
À l’inverse, si vous prenez des plates-formes d’intermédiation emblématiques comme BlaBlaCar ou Lebon Coin, la valorisation de leurs services se fait vraisemblablement au prix de vente de leurs services (abonnements, ou coûts des annonces).
Or leur valeur ajoutée n’est pas là et n’est pas comptabilisée : moins de transports traditionnels, une réutilisation massive de biens un peu défraîchis, utilisables, qui sans cela auraient fini au fond d’un grenier ou dans une benne à ordures.
Et non seulement ces économies ne sont pas comptabilisées, mais en plus elles contribuent à baisser le PIB et donc la productivité globale !
Autre point. En principe on raisonne à euros constants : on enlève l’inflation de l’augmentation du PIB. Et dans l’autre sens, mais pas toujours, on corrige, pour tenir compte de la baisse des biens ou services produits.
Mais très rarement tient-on compte des améliorations des produits ou services. Si l’on regarde les TICs, la puissance de calcul, ou le volume de données transmises, ramenés à l’euro


d’achat ont explosé en une génération. Les PCs d’aujourd’hui ont la puissance des gros bouzins d’antan pour un coût ridicule à l’aune des anciens monstres. Il est vrai que c’est moins marquant dans la plupart des autres secteurs, ce qui explique que les TICs sont quasiment le seul secteur économique ou quelques économistes ont tenté de tenir compte de cette véritable explosion.
Bref, ce n’est pas parce que le PIB stagne que le niveau de vie baisse ou que la productivité réelle n’augmente pas !

La suite au prochain numéro.